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2 octobre 2014

Toucher

L'hypersensibilité des sens est une caractéristique de l'autisme. Elle le serait aussi de la surdouance. La plus flagrante, pour mon fils, est celle qui concerne le sens du toucher.

En contact direct avec la peau, mon fils ne supporte que certaines matières. Sont à bannir la laine, certains tissus synthétiques, les étiquettes, les fermetures éclair, les boutons... Tout le gratte et l'irrite. Je n'ai pas de ces délicatesses et peux tout porter. Cependant, de temps à autre, je ressens tout-à-coup une intense sensation de brûlure causée par un vêtement qui ne m'occasionne normalement aucune gêne particulière. Cela m'arrive souvent avec les bretelles de soutien-gorge, par exemple. Je suis, en outre, allergique aux bijoux, montres, boucles de ceintures, certains produits de beauté ou de maquillage...

Mon fils n'aime pas être touché. Ce sont les remarques de mon entourage et de professionnels qui m'en ont fait prendre conscience.

Pour ma part, j'ai toujours respecté une volonté de distance physique ou de mutisme que pouvait manifester mon vis-à-vis, même s'il s'agissait d'un enfant. Alors que de longues plages de silence ou une réticence à embrasser mettent mal à l'aise la plupart des gens, elles me paraissent, à moi, infiniment plus naturelles que de parler pour ne rien dire, juste pour meubler, ou d'effectuer un geste qui devrait être affectif (donc chargé d'émotions) mais qui n'est que machinal. De plus, mon fils, mutique et distant avec beaucoup, a toujours été avide de dialogues et de câlins avec moi. Je suis obligée de le repousser parfois tant il se colle à moi. Il m'était donc difficile de me rendre compte de sa répugnance pour le contact physique.

C'est mon ex-co-locataire qui m'a sérieusement alertée la première. Très tactile, elle a sans cesse besoin de caresser, d'embrasser. Devant ses débordements de tendresse, mon fils avait eu un mouvement de défense qui l'avait choquée. Cela s'est produit deux fois. Nous en avons parlé tous les trois. Incapable d'exprimer son ressenti (mon fils ne sait que pleurer dès qu'on le pousse trop à s'expliquer), il nous a laissé entendre qu'il n'aimait pas être touché, même affectueusement, par ce qu'il considérait étranger; qu'il ressentait cela comme une agression. Nous avons pensé que cela pouvait être dû à un traumatisme engendré par un comportement violent que son père avait eu envers moi. J'ai même songé à une tentative de pédophilie... Avec du temps, du respect et de la patience, mon fils s'est laissé apprivoiser. Il n'a plus peur, à présent des câlins de mon amie E.

Le même incident s'est produit au cabinet de notre médecin traitant qui avait voulu lui caresser gentiment la joue. La même interprétation a été donnée à sa réaction.

Mon fils a fait des progrès. Au CHU, en phase d'observation, ils ont noté qu'il n'avait plus de geste de défense quand on essayait de le toucher mais un raidissement et un recul de tout le corps presque imperceptible.

Je n'ai pas souvenir d'anecdotes de ce genre me concernant mais je me rappelle que, plus jeune, on avait bien des fois souligné mon impolitesse et ce qu'on prenait pour une fierté mal placée. En effet, je disais bonjour de loin en faisant un léger signe de tête. Mes paroles murmurées et mes gestes peu prononcés n'étaient pas perçus la plupart du temps par leurs destinataires peu attentifs. En travaillant comme chef de rayon dans la grande distribution, j'ai appris à serrer la main de mon directeur, de mon chef de secteur, des founisseurs. J'appliquais consciencieusement les recommandations faites à l'usage de ce geste : éviter d'avoir les mains moites, serrement ferme mais bref et pas trop fort... (C'est fou comme les livres peuvent nous apprendre la vie !) Puis, petit à petit, je suis parvenue à suivre les codes sociaux et à passer aux embrassades avec mes collègues. Aujourd'hui encore, les anciennes instructions me reviennent instantanément à l'esprit quand je serre une main et mes baisers n'en sont souvent qu'un simulacre : je me contente de presser ma joue contre une autre en imitant le bruit caractéristique de la bise. Je sais embrasser. Je ne pourrais expliquer ma réticence à le faire. Simplement, ce geste ne m'est pas naturel. De même, je recule instinctivement dès que je perçois chez quelqu'un une émotion qui pourrait l'amener à des effusions physiques.

Dans ma vie plus intime, contrairement à beaucoup de femmes, je n'aimais pas tous ces attouchements qu'on appelle préliminaires (j'ai heureusement changé depuis) et surtout, je ne supportais pas qu'on m'effleure la poitrine. J'éprouvais alors un sentiment de malaise indéfinissable, une sensation de mouillé, de fermé qui me donnait l'impression étrange d'être in utero. J'appréhendais beaucoup ma première (et seule) mammographie, peu aidée par un certain sketche humoristique sur le sujet. Ma soeur (manipulatrice en radiologie) s'est enquit plusieurs fois au cours de la manoeuvre de ce qu'elle ne me faisait pas trop mal. Contrairement à ce que je redoutais, je me serais sentie plutôt bien si l'appareil n'avait pas été aussi froid. J'ai compris alors toute l'utilité de la fameuse "machine à serrer" de Temple Grandin ("Ma Vie D'Autiste").

C'est cette dernière d'ailleurs qui a écrit dans un de ses articles :" Un homme autiste [...]  disait que le toucher n'était pas douloureux, mais accablant et bouleversant. Les petites démangeaisons et égratignures que la plupart des gens ignorent peuvent devenir des tortures. Un jupon qui frotte devenait comme du papier de verre qui poncerait une peau mise à vif."

La technique du packing, très controversée, et la thérapie de l'étreinte (principalement utilisée aux Etats-Unis) suffisent à démontrer l'importance que peut prendre cette hypersensibilité sensorielle. "Parce que nos enfants ne peuvent pas vivre sous cloche" selon un article (que j'avais particulièrement apprécié) qui circulait sur Facebook, j'essaie d'aider mon fils à surmonter ses difficultés pour qu'il puisse vivre en harmonie avec lui-même et avec son entourage. Mais il faudra compter avec toutes ses perceptions différentes...dont celle du toucher...

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