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12 juin 2014

Equilibre

Quand j'avais 23 ans, le voisin d'une amie qui m'hébergeait lui avait conseillé de se méfier de moi car il avait constaté que j'avais une démarche vacillante. Pour lui, un manque d'équilibre physique était révélateur d'un manque d'équilibre psychologique. J'avais été très vexée de ce jugement hâtif. Après avoir gagné le pari que j'avais fait avec mon amie de devenir en moins d'un mois une référence, un modèle pour cet homme (ceci, afin de démontrer que les personnes aux idées préconçues, trop promptes à se faire une opinion, étaient particulièrement influençables), j'ai surveillé ma façon de marcher.

Je n'ai pas d'équilibre et n'en ai jamais eu. J'ai eu beaucoup de mal à apprendre à faire du vélo et garde envers cet engin une rancune tenace. Je n'arrive pas à tenir sur un cheval au trot. Ne parlons pas de patins (à glace ou à roulettes), de planche (à roulettes ou à voile), ni de tout autre objet susceptible d'influencer la position de mon centre de gravité déjà précaire. Quand je cours, je donne l'impression de m'emmêler les pattes et, si cela dure trop longtemps, cela se solde immanquablement par une chute. Je me heurte régulièrement aux meubles qui m'entourent bien que connaissant parfaitement leur emplacement. En règle générale, aucun de mes mouvements n'est harmonieux ni gracieux. Enfant, mes parents m'ont fait faire de la danse classique, puis modern jazz. Je restais désespérément "raide comme un piquet". Je n'ai commencé à me réconcilier avec mon corps qu'après la pratique de danses africaines.

Mon fils est aussi malhabile que moi. Quand nous marchons, il a la manie de s'accrocher à mon bras, mes vêtements ou mon sac à main. Nous finissons toujours dans un poteau, un mur ou un passant qui a eu la malencontreuse idée de se trouver sur notre trajectoire zigzagante.

"De même que les gens Asperger ont une manière différente de penser, ils peuvent avoir une manière différente de se mouvoir. [...] la maladresse est considérée comme une caractéristique associée au Syndrome d'Asperger ("Le Syndrome D'Asperger" Tony Attwood). L'hypotonie et des difficultés praxiques sont communes aux enfants autistes. ( A un an, je ne tenais pas assise. On a mis cela sur le compte des suites d'une anorexie du nourrisson). Une dyspraxie oromotrice expliquerait qu'un pourcentage significatif d'autistes n'aie pas accès à la communication verbale. De nombreuses études ont mis en évidence un lien entre la performance imitative dans l'autisme et la fonction motrice globale. Ce déficit entrainerait une limitation de développement de "l'intersubjectivité et l'empathie (Stern, 1985), la compréhension de l'intentionnalité et la théorie de l'esprit (Barresi et Moore, 1996; Meltzoff et Gopnik, 1993), la socialisation et l'acculturation (Rogoff et al., 1993; Tomasello et al, 1993), les interactions avec les pairs (Nadel-Brulfert, et Baudonnière, 1982)..."

Je ne peux vous énumérer ici toutes mes sources ni exposer toutes les théories et conclusions d'expériences menées sur le sujet. Voici la mienne, qui découle d'une réflexion personnelle, tout en tenant compte des observations faites par les professionnels et les scientifiques : Nos lacunes dans le "praxis" (action, par opposition à la théorie, pour faire simple) justifieraient notre propension à tout intellectualiser (cela m'a souvent été reproché). Nos difficultés d'imitation tant motrice que sociale seraient pour beaucoup dans notre façon de penser indépendante. Nous avons besoin de comprendre le pourquoi des choses qui sont naturelles pour les autres. Nous évoluons en électrons libres, loin du carcan des références populaires. Nous ne savons pas copier, nous en sommes "réduits" à créer, à découvrir. Nos faiblesses physiques et sociales nous ont permis de développer une autre force, de nous libérer de l'instinct grégaire. Ce peut être une explication au fait que la plupart des précurseurs dans des domaines très divers (artistiques, scientifiques, idéologiques...) aient des traits autistiques.

J'arrête là. Sinon vous finiriez par penser que le voisin de mon amie n'avait peut-être pas tort...

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