Visage

Je ne reconnais pas les visages.

Cette affection est un trouble neurologique génétique (encore !) quand elle est de naissance. Appelée prosopagnosie, elle ne serait pas liée à l'autisme bien que certaines études en fassent un rapprochement (désolée, je cumule). Chez moi, elle atteint des sommets et donnent à certaines anecdotes des allures tragi-comiques.

Enfant, je me perdais régulièrement. Incapable de reconnaitre instantanément le visage de ma mère, je m'attachais à un détail, la couleur de son écharpe ou de son manteau, par exemple. Il suffisait que quelqu'un d'autre passe avec un manteau ou une écharpe de la même couleur pour que je le suive. Cela m'angoissait énormément (ma mère aussi, sans doute) et personne ne comprenait comment je pouvais m'égarer aussi souvent.

Au quotidien, cela m'handicape et entraine de nombreuses bévues (comme si je n'en commettais pas assez sans cela !). Je ne reconnais pas mes collègues en-dehors du travail, les membres des associations que j'ai créées, mes nombreuses connaissances, et même les membres de ma propre famille. Quand je dis : "- Bonjour madame" très poliment à ma fille en entrant dans l'ascenseur, cela peut passer pour un moment de distraction. Quand il me faut parler quelques minutes avec les gens avant de savoir qui ils sont, pour un état de fatigue ou un manque de mémoire. Mais il y a des cas où je ne peux raisonnablement invoquer aucune excuse :

Je travaillais au mess de l'Ecole Militaire. Dans les couloirs, je croise un homme portant charlotte et masque selon le protocole d'hygiène. Il me fixe d'une façon insistante. J'en suis agacée. J'ai l'habitude que les hommes me regardent ou me draguent mais là c'est trop, limite agressif. Je le toise quelques instants, puis préfère tourner les talons. Ce n'est que le soir que j'apprends qu'il s'agissait de mon mari. Après plus de 11 ans de vie commune, hors contexte géographique et vestimentaire, je ne l'avais pas reconnu !

Les cuisines ouvertes de l'ancienne pizzeria où je travaillais permettaient de voir arriver les clients de loin. Un soir, un groupe stationne à l'entrée. Je note mentalement qu'il y a plusieurs asiatiques, qu'ils ne seront pas dépaysés car la personne qui les accueille est Chinoise et le serveur du rang dans lequel ils seront placés est Thaïlandais, sans parler de moi, cuisinière Vietnamienne (la cuisine italienne devient décidément cosmopolite). Ils passent tous devant moi à la queue-leu-leu en me disant bonsoir. Je réponds poliment en souriant. Le dernier s'arrête et discute quelques instants. C'est le père de mon petit-fils. Je me demande alors seulement qui étaient toutes les personnes passées avant lui. Il s'agissait de ma fille, mes nièces et leurs amis...