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6 novembre 2014

Second degré

Quand j'ai survolé le livre de Claire Grand "Toi qu'on dit "autiste". Le syndrome d'Asperger expliqué aux enfants" avec mon fils, je lui ai lu quelques exemples du sous-chapitre "les expressions au sens figuré" pour m'assurer qu'il les comprenait. C'était le cas. Non seulement il les comprenait, malgré la pauvreté de son vocabulaire, mais en plus, il a eu la désagréable impression que je le prenais pour un idiot.

Hier, en tombant sur un vieux paquet de cigarettes (je suis passée à l' électronique depuis 4 semaines), il me demande : "- Maman, pourquoi c'est plus dangereux de fumer la nuit que le jour ?" Nous étions en voiture. J'étais concentrée sur une manoeuvre. Cela a donné un dialogue du genre : "- Mais non, c'est pareil, fumer la nuit ou le jour." "-Pourtant, c'est eux qui le disent" "- Ah, alors s'ils le disent... Je n'en sais rien, moi !" Il voit que je suis occupée et n'insiste pas. Un peu plus tard, sa question me revient à l'esprit. "- C'était quoi cette histoire ? Qui est-ce qui t'a dit que c'était plus dangereux de fumer la nuit que le jour ?" "- Ben regarde, c'est marqué là : "Fumer nuit gravement à la santé"". Cet exemple est parlant. Mon fils serait véritablement passé pour un idiot si je l'avais laissé dans une croyance erronée, simplement par manque d'attention.

J'avais lu quelque part un exemple des difficultés sociales que pouvait engendrer une mauvaise compréhension du second degré. Si un professeur dit : "- Il y a un papier par terre", l'enfant Asperger répondra "- Oui" mais n'aura peut-être pas le réflexe de le ramasser. Pour lui, c'est une constatation, ce n'est pas une demande. Il passera pour insolent ou fainéant alors qu'il n'aura tout simplement pas saisi le sens implicite de l'expression. "- C'est tout à fait ton fils, m'avait dit une amie" En effet, il était capable de ce genre de non-réaction alors qu'il était plein de bonne volonté. J'écris "était" car aujourd'hui, s'il avait ce genre d'attitude, ce serait uniquement par flemme.

Moi-même, je ne me considère pas comme une abrutie. J'ai appris à donner la réponse gestuelle ou orale attendue. Il m'arrive pourtant encore régulièrement d'entendre les gens me reprocher : "- Mais pourquoi n'as-tu pas fait (ou dit) cela ?" "- Parce que tu ne me l'as pas demandé" est la réponse (souvent tue) qui me vient naturellement à l'esprit. J'ai une certaine culture littéraire. Férue d'étymologie, je me passionne aussi pour l'origine des expressions (logique !). Pourtant, certaines me laissent perplexe (" Gentil n'a qu'un oeil") ou révoltée ( "ça ne mange pas de pain"). Même si je n'ai rien contre les métaphores, litotes et autres figures de style, celle qui me conviendrait le mieux serait " Il faut appeler un chat, un chat".

Nous autres, Asperger, aimons la précision et notre (apparente) difficulté à saisir le second degré serait due à une traduction trop littérale. Quelle que soit l'étendue de notre vocabulaire, nous prenons les mots tels qu'ils arrivent dans leur sens premier. Une interprétation est forcément subjective. Paradoxalement, notre refus d'interpréter amène plus de confusion que l'inverse tant la société fonctionne sur le non-dit et les détournements diplomatiques.

Dans le domaine de l'humour, le second degré est très couramment utilisé. J'en use et en abuse souvent ainsi que de l'auto-dérision et d'une ironie mordante. J'aime l'humour noir, l'humour "à froid". Je croyais donc n'avoir aucun problème à ce niveau-là. Et puis... Au centre où mon fils est suivi, ils m'ont posé la question. Je leur ai répondu que mon fils ne manquait pas d'humour. C'est un enfant joyeux qui aime rire et peut être très fin. En approfondissant le sujet, j'ai réalisé que s'il l'était souvent avec moi (joyeux), il pouvait le paraitre beaucoup moins avec d'autres. Il a surtout du mal à réagir aux plaisanteries qui portent sur sa personne. En fait, il ne rit que quand il est sûr de la bienveillance de l'intention. Pour quelqu'un d' extérieur, il peut passer pour crétin ou susceptible, alors qu'avec moi, il se moque sans cesse de lui-même. J'ai réalisé que j'étais pareille. Mon ami est très sarcastique. Je ne compte pas les malentendus qui sont nés de sa forme d'humour particulière. "- Je suis désolé, ça ne me serait jamais venu à l'esprit que tu prennes cette réflexion au sérieux. Enfin, tu sais bien que c'est tout l'inverse" s'est-il excusé lors d'une conversation où il a (très) tardivement compris qu'il m'avait blessée. Avec le recul, oui, cela peut paraître évident que c'était une boutade, une plaisanterie. Mais sur le moment, je suis tellement peu sûre de moi que c'est ma personne que je vais remettre en cause plutôt que rechercher un hypothétique sens caché aux paroles d'une autre. Et c'est cette impression qui va perdurer et miner encore plus ma confiance en moi. Maintenant qu'il en a conscience (et moi avec) nous avons convenu (implicitement) d'un code. Dès qu'il voit que je comprends mal ce qu'il veut me dire, que je pars dans une toute autre direction, il me fait signe gentiment ("- second degré"). Je me calme instantanément. Tony Attwood, lui, consacre,un sous-chapitre à l'"Aspergien" (langue de conversation des Asperger) dans son guide complet "Le Syndrome D'Asperger".

J'ai eu l'occasion de passer quelques heures avec d'autres aspis lors de cafés-rencontres (ou même en tête-à-tête). Je me suis rarement sentie aussi détendue avec des personnes que je ne connaissais pas. Et, apparemment, je n'étais pas la seule. Nous étions tous différents. Nous étions en groupe, en "société" mais libérés de la peur des regards inquisiteurs, des jugements hâtifs, des mauvaises interprétations, nous avons laissé libre cours à notre penchant naturel pour la gaieté et l'humour. J'en ai pleuré de rire. On m'en reparlera du manque d'humour des aspis et de leur incompréhension du second degré...!

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