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21 novembre 2014

Alimentation

Ma mère m'a récemment remis quelques babioles qui m'avaient appartenu. Parmi celles-ci figurait mon bavoir rouge. Cet objet d'un autre âge (en fabrique-t-on encore de cette sorte aujourd'hui ?) m'a rappelé des souvenirs lointains. En plastique, muni d'une fermeture réglable à l'encolure et d'une forme incurvée dans le bas, c'était, pendant une partie de mon enfance, l'accessoire incontournable qui contribuait à faire de certains de mes repas de véritables séances de torture. Je suis arrivée en France à l'âge d'un an. Bébé déjà anorexique, j'avais gardé en grandissant un appétit minimal et très sélectif. Je n'aimais pratiquement rien à part les sucreries, plus particulièrement le chocolat. Il n'était donc pas rare que les membres de ma famille se mettent à plusieurs pour me gaver comme une oie. On me maintenait assise sur une chaise, on me bloquait les bras pour m'empêcher de me débattre, on me pinçait le nez pour m'obliger à ouvrir la bouche. Tout ce qui n'y parvenait pas ou que je recrachais tombait dans la gouttière que formait le rebord du bavoir. Ma mère le récupérait et recommençait jusqu'à ce que je l'avale. J'en ai encore la nausée en y repensant... Un déclic s'est heureusement produit plus tard même s'il m'a fallut beaucoup de temps pour accepter la viande et la nourriture épicée. Jeune adulte, j'étais au contraire hyperphagique. J'avais des amis qui me payaient le restaurant pour le plaisir de voir le regard ébahi du serveur à la prise de ma commande. J'étais capable d'ingurgiter 5 entrées, 3 plats de résistance et 5 desserts au cours d'un même repas. Aujourd'hui encore, on m'appelle "la poubelle de table", mon ami clame (en plaisantant) qu'il vaut mieux m'inviter à aller voir un film qu'à diner mais je peux aussi bien oublier de manger pendant 3 jours sans en être incommodée. Toute ma vie a été rythmée par des phases alternatives de boulimie et d'anorexie.

Mon fils, lui, a été hyperphagique dès la naissance. Nourri par allaitement, il s'endormait sur mon sein mais recommençait à téter dès que j'essayais de l'en enlever. Epuisée, j'ai dû passer à l'allaitement mixte au bout d'un mois, puis au biberon. J'avais été mal conseillée par la pharmacienne locale (j'étais en "vacances" chez ma mère) qui me suggérait d'augmenter les doses devant ses pleurs. Ce n'est qu'à notre retour à Paris que la pédiatre a constaté les dégâts. Résultat : mis au régime avant ses 3 mois ! Par la suite, mon fils a toujours conservé un rapport curieux à l'alimentation. Les repas étaient des repères importants pour lui. Son assiette était son territoire qu'il inspectait (visuellement et olfactivement), défendait (en pleurant si je faisais mine d'y toucher pour plaisanter, en hurlant si d'autres s'en approchaient), organisait (c'était un adepte du tri) et dont il recensait le contenu (il comptait ses petits pois pour s'assurer de n'être pas lésé). Quand j'ai réalisé ses lacunes en vocabulaire, je me suis servie de la nourriture pour l'encourager à s'exprimer ( gras, sucré, amer, acide, salé, bon, mauvais, trop, pas assez...) Après mon divorce d'avec son père, ses retrouvailles avec celui-ci ont donné le signal de départ d'une période de boulimie. Ayant atteint une surcharge pondérale importante, sans cesse en butte aux moqueries, mon fils a décidé cette année de se réconcilier avec son corps, de réguler son apétit. Je l'y aide de mon mieux en reprenant des activités culinaires (chose qui ne m'était pas arrivée depuis 8 ans). Cela commence à porter ses fruits.

En faisant des recherches sur internet, j'ai compris pourquoi mon fils prenait toujours d'énormes bouchées (hyposensibilité de la sphère buccale), pourquoi nous étions tous deux capables d'ingérer des quantités invraisemblables de nourriture, à nous en rendre malades (hyposensibilité, là encore, nous ne ressentons pas les effets de la satiété), pourquoi je ne salais jamais mes plats, même les frites (hypersensibilité, ce coup-là)...

L'alimentation est une référence importante dans notre vie sociale car le repas est un moment convivial par excellence. Ne pas manger de porc par conviction religieuse, de viande, par conviction personnelle, de certains aliments, par goût, est généralement bien accepté. Avaler comme un ogre un jour, comme un moineau le lendemain, l'est beaucoup moins. Un ami avait une interprétation personnelle (mais non dénuée de bon sens) de ces phases. Pour lui, boulimie signifiait je n'ai pas ce que je veux, alors je prends tout, jusqu'à ce que je trouve. et anorexie, je n'ai pas ce que je veux, alors je ne prends rien, je refuse tout ce qui n'est pas ce que je cherche. Les psychanalystes ont toujours relié l'alimentation à l'image de la mère.nourricière arguant du fait qu'il s'agissait d'un de nos premiers rapports avec elle et oubliant qu'une fois le cordon coupé, c'était aussi un de nos premiers rapports...avec l'extérieur tout simplement !  Et si, au contraire, c'était à celle de la société, de nos attentes envers celle-ci qu'il fallait le faire ...?

 

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